De l'autre côté de la peau
Aliona Gloukhova
À paraitre le 6 Févr. 2020
ISBN 9782072876127
Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer Ana à Saint-Pétersbourg. Elle avance dans une rue glaciale, sa peau est retournée, mais le froid passe à côté, parce que toute son attention est à l’intérieur. Ana cherche à comprendre Gor, Ana veut devenir Gor.
LE LIVRE
La narratrice de ce roman, enquêtant sur un poète russe méconnu, Guennadi Gor — auteur du recueil Blocus lors du siège de Leningrad —, s’aperçoit qu’Ana, une étudiante portugaise qui s’était passionnée dix ans auparavant pour le même poète, a disparu aux confins de la Biélorussie, non sans laisser à son tour des carnets intimes. Revenant sur les pas de ces écrits successifs, elle s’imprègne peu à peu de leurs destins, où résonne plus d’un demi-siècle d’histoire européenne, pour tracer sa propre ligne de fuite.
EXTRAIT
Dans son dossier, j’ai aussi trouvé deux cahiers, j’ai pu en faire des photocopies et ensuite les traduire du portugais. Sur la couverture du premier cahier, bleu, Ana a écrit : Ana. Sur l’autre, noir : Mateo. Le premier cahier représente une liste de souvenirs par ordre chronologique sans aucune logique apparente, certaines années sont absentes. Parfois, Ana passe d’un souvenir à l’autre. Le contenu du deuxième cahier est plus hétérogène, il comporte une transcription de certaines conversations, une description détaillée des jours avant son départ à Saint-Pétersbourg et de ceux qui précèdent la disparition de Mateo.
Dans le premier chapitre de sa thèse Ana explique sa méthode l’herméneutique passionnée – elle parle de l’importance de rendre transparent l’état mental et physique du chercheur et d’en accepter les limites. L’analyse des poèmes de Guennadi Gor qu’elle a effectuée est d’après elle influencée par sa condition. Sa solitude et sa vulnérabilité lui ont permis de comprendre autrement l’écriture de Gor. Celui qui fait la recherche doit être altéré au même degré que son sujet, l’empathie est une qualité indispensable de l’observateur elle a écrit.
Dans son journal intime, elle évoque des tâches bureaucratiques, des obligations quotidiennes, je suis étonnée de voir sa précision. J’y ai également trouvé des poèmes de Gor – elle fait des commentaires anotés dans les marges, elle souligne certains mots, en rature d’autres. Il y a quelques pages arrachées, surtout vers la fin, il y a des trous temporels de plusieurs jours où Ana n’écrit rien, juste des phrases au centre d’une page – une tentative non réussie ou une arrivée d’eau.