A son bord, 48 passagers dont aucun ne survivra. Marcel Cerdan et Ginette Neveu, jeune violoniste au talent fou, se trouvent parmi eux. L'événement fait date, les journaux s'en emparent, les lecteurs s'émeuvent et les récits vont bon train, puis s'épuisent, comme toujours. Un peu plus de soixante ans après, Adrien Bosc dessine dans son livre la constellation de ces vies précipitées sur les flancs du Mont Redondo et fait le récit méticuleux de la fatale intersection par laquelle chacun des passagers vint à prendre place à bord de l'aéronef. L'écriture du livre, extrêmement documentée, confine à la factualité journalistique, pointant ici et là d'imperceptibles coïncidences historiques et les ironies du sort qui confèrent à l'accident une fatalité déconcertante.
Au-delà du romanesque et de sa charge éthique, l'intérêt de l'ouvrage tient à ce qu'il fait ressurgir, à la faveur d'une attention minutieuse aux détails les plus microscopiques, l'image condensée d'une époque. Une mention de Leibniz par le narrateur, laisse ainsi deviner un projet tout à la fois esthétique et métaphysique : il s'agirait de retrouver, au cœur de la monade événementielle du crash, le reflet d'une époque aujourd'hui dispersée en une multitude de lambeaux mémoriels et documentaires. Constellation se présente alors comme un récit choral post-mortem qui invite son lecteur à s'émerveiller de la possibilité de repriser par le fil de l'écriture la trame fragile des marges de l'histoire.
C'est là un des aspects les plus marquants du livre : l'exploration de l'événement fatal ne va pas sans une manière de célébration de la littérature qui se voit reconnaître, dans l'ironie du sort des hasards objectifs et des épigraphes qui entament chaque chapitre, le pouvoir surréaliste d'être elle-même fatale, parole qui destine et configure nos existences. Le crash du Constellation se fait ainsi le sauvetage d'une confiance en la littérature relativement anachronique. Cela fait l'intérêt du livre, qui a conquis, et ce n'est pas par hasard justement, le vénérable cénacle du grand prix du roman de l'Académie Française. Cela l'expose aussi aux critiques qui y verront un objet curieux, possiblement vintage et dont la pertinence pour le lecteur d'aujourd'hui fait peut-être question.
Je conclurai donc en disant que l'œuvre d'Adrien Bosc, qui aime à citer « El Desdichado » de Nerval, demeure éminemment énigmatique, cryptique, ramassée, constellée, concentrée, opaque. Trois paragraphes ne suffisent pas à rendre compte de sa discrète difficulté. Il faudra donc lire, ou relire, pour y voir plus clair, peut-être.
Adrien Bosc, Constellation, Stock, 2014. Traduction italienne de Laura Bosio : Prendere il volo, Ganda, 2015.
di Benoît Monginot
Le 27 octobre 1949, le Constellation F-BAZN d'Air France quitte l'aéroport d'Orly en direction de New York. Il s'écrasera quelques heures plus tard sur une île des Açores.
Pubblicato in
Recensioni
Etichettato sotto